Différents récits de guérison m'ont été rapportés au fil de mon enquête sur l'homéopathie vétérinaire. Dans ces récits, le narrateur rend compte d’un cas où il est parvenu, seul ou avec l’aide d’autres personnes, à soigner un animal malade grâce à l’homéopathie. Il insiste sur les premiers signes de la maladie, et sur l’évolution de l’état de l’animal au cours du traitement, jusqu’à sa guérison finale. Voici un premier exemple, issu d’un entretien avec un éleveur vendéen pratiquant l’agriculture biologique.

« La première vache que j’ai soignée par homéopathie, c’était en… Je l’ai noté, ça… 1985 ou 1986. J’avais une vache qui sort de la salle de traite… mammite colibacillaire ! Vraiment la mammite carabinée, elle tombe par terre ! Ah ! [je dis :] « J’appelle le véto ou pas ? » Et elle avait un lait légèrement bleu. Alors je cherche, je cherche… bleu, c’est plus sur du Lachesis, quoi. Alors je lui mets – alors vous allez rigoler, c’est fou ! j’ai passé ma nuit au cul de la vache ! Par rapport à ça, j’avais été sur internet, j’avais regardé un peu tout, je dis : « Oh Lachesis, ça doit marcher ! J’appelle pas le véto » J’appelle pas le véto. Donc je lui mets 5 ou 6 granules de Lachesis en 5 CH, parce que quand on n’est pas sûr, il vaut mieux commencer comme ça. Et puis deux heures après, je reviens, ma vache était pas plus mal. Mais elle se levait toujours pas, hein ! Donc je recommence. A minuit, la vache allait mieux, elle se met debout. Je dis : « Ah, ça va mieux, ça va mieux ! » Mais elle avait une mamelle ! Et le lait était décoloré, bleu… c’est marrant, hein ! (…) Lachesis, bleu, c’est un engorgement, quoi. (….) Et à deux heures du matin, ma vache, elle ruminait. Et le lendemain, elle était au foin. Ils n’ont jamais voulu me croire, les vétos ! (…) Et là j’ai dit : « On peut y arriver maintenant ! » Quand on veut, on peut ! »

Ici, l’éleveur revient sur le cas d’une vache qui avait une mammite colibacillaire : c’est une inflammation de la mamelle qui est provoquée par des microbes présents dans l’environnement de l’animal. Cette pathologie est particulièrement grave et peut entraîner une mort rapide de l’animal s’il n’est pas soigné à temps. Dans le récit ci-dessus, l’animal semble très affaibli : il ne tient plus debout. L’éleveur choisit d’utiliser en première intention l’homéopathie pour soigner la vache. Un signe particulier, à savoir la couleur bleutée du lait, a attiré son attention ; cet indice l’oriente vers le remède Lachesis, qui est fabriqué à partir d’une substance tirée du venin du serpent Lachesis mutus. L’éleveur surveille de près l’évolution de l’état de la vache, pour ajuster le traitement. Après plusieurs administrations du même remède, l’animal se rétablit. Finalement, la guérison survient rapidement : environ 6 heures après la première intervention, la vache est debout et recommence à manger normalement en ruminant.

Dans cet exemple, l’éleveur n’a pas fait appel au vétérinaire, en dépit de la gravité de l’état de l’animal, car ce dernier n’a pas de compétences en médecines alternatives et aurait d’emblée prescrit un traitement antibiotique. Or cet éleveur est sous certification agriculture biologique et doit à ce titre respecter un cahier des charges qui impose une limitation de l’utilisation des antibiotiques (pas plus de trois traitements par animal et par an). Aussi s’est-il intéressé à d’autres manières de soigner les animaux. L’éleveur a découvert l’homéopathie lors de la naissance de sa première fille dans les années 1980 : elle souffrait d’eczéma et une personne de leur entourage leur a conseillé de s’adresser à un médecin homéopathe. C’est à travers des discussions avec ce médecin homéopathe, des lectures d’ouvrages spécialisés et la consultation de sites internet, que l’éleveur s’est formé à la démarche homéopathique. Le récit étudié ici rend compte de la première fois où l’éleveur a utilisé seul l’homéopathie sur son troupeau. Il s’agissait en fait d’un test, qui s’est révélé positif. Car comme il le dit à la fin de l’entretien : « on peut y arriver maintenant ! » c’est-à-dire qu’il peut utiliser l’homéopathie sur l’ensemble de son troupeau, à condition d’y mettre les moyens nécessaires.

L’éleveur nous raconte cette première guérison obtenue par homéopathie avec enthousiasme et donne des précisions, insistant sur certains passages – la couleur bleue du lait, signe surprenant qui lui a permis de trouver d’emblée le bon remède. C’est lui qui insistes pour raconter cet évènement, dès le début de l’entretien, alors que l’enquêteur l’interrogeait sur la manière dont il s’est formé à l’homéopathie. On comprend qu’il a aussi fait ce récit auprès des vétérinaires du cabinet avec lequel il travaille, car il nous indique que ces derniers ne l’ont pas cru.

Dans un autre entretien avec un éleveur mayennais pratiquant aussi l’agriculture biologique, c’est l’enquêteur qui invite à raconter des « exemples qui [l’]ont marqué ». L’éleveur propose alors de revenir sur « trois cas cliniques (…) un petit peu atypiques ». Il ne pratique pas seul l’homéopathie, mais fait appel aux services d’un vétérinaire homéopathe, Mr F., qui est d’ailleurs présent au moment de l’entretien. Comme le conseil se fait surtout par téléphone, l’éleveur a appris à observer ses animaux pour aider au diagnostic. Voici le premier cas, raconté à deux voix avec Mr F., de guérison d’une vache atteinte là encore d’une mammite colibacillaire.

L’éleveur : Ah ben moi j’ai toujours trois cas cliniques… oui, un petit peu atypiques… Donc c’est la vache avec Camphora… donc une mammite de type colibacillaire. Donc moi, j’ai appelé [Mr F.]. Donc on était en salle de traite à cette époque-là… Donc la vache qui passe normalement à la traite. Par contre je m’aperçois quand je la lave que… ben il y a un quartier qui est quand même beaucoup plus gros, volumineux. Donc en effet, c’est des cailles ((La présence de cailles dans le lait correspond à des petits grumeaux, c'est un signe d'inflammation de la mamelle.)). J’avais encore du lait… ou un petit peu de cailles au début, mais c’était encore du lait à la traite, voilà.

Mr F. : Par contre quand je suis arrivé après c’était que du cidre ((Le vétérinaire compare l’aspect du lait à celui du cidre, pour insister sur son caractère anormal.)).

L’éleveur : Et ben… oui déjà. Donc c’était de bonne heure… la traite était de bonne heure, et rien qu’avant de vous appeler, j’avais du lait modifié. Donc il y a une évolution rapide de la mammite vers une mammite colibacillaire, sans… forcément beaucoup de température, hein ?

Mr F. : Non. Elle avait 38, à peine… (…)

L’éleveur : Donc en attendant le passage de [Mr F.]… Donc j’avertis le cabinet vétérinaire… En attendant le passage [de Mr F.], je vidange le quartier le plus grand nombre de fois possible… Donc quand [Mr F.] est arrivé, elle était dans une logette. Elle était couchée dans une logette. Pas forcément très, très abattue… Elle s’est levée… Elle s’est levée pour aller à l’alimentation… Alors je ne sais pas si c’est à ce moment-là que vous mettez la main dessus?

Mr F. :  Oui. C’est en prenant la température.

L’éleveur : Ou en reprenant la température, oui, en reprenant la température… que [Mr F.] observe que (…) la peau est toute froide. Et que moi… Peut-être que j’avais mis la main dessus, mais ça ne m’a pas… ça ne m’a pas tilté hein ! Donc… comme quoi, chaque chose a son importance. Parce que je me rappelle très bien [Mr F.] me dire : « Vous n’avez pas remarqué quelque chose ? » Non, ben… Et je suis à peu près sûr de l’avoir touchée quoi ! J’étais à peu près sûr, mais…

Mr F. :  En fait, elle était descendue… sans doute en température rapidement quoi. En l’espace de deux-trois heures. Peau froide, l’œil creux, elle ne buvait pas…

L’éleveur : Elle ne buvait pas. Oui, parce qu’elle avait passé près des buvettes sans…

Mr F. :  On lui a donné Camphora… Et donc la similitude entre le camphre et… Cette vache-là, c’est le fait que quand tu touches, le camphre c’est froid. En tout cas la vache était froide. Et donc cette vache-là, ensuite s’est réchauffée, avec la prise du remède…

L’éleveur : et je continuais à vidanger le quartier, toutes les heures ou toutes les deux heures, je ne sais plus… Et les premières gouttes de lait je dirais, sont revenues dans l’après-midi quoi. Le lait blanc quoi. Donc c’était dans un premier temps que du cidre… et après du cidre, avec un peu de lait, et enfin des gouttes… Et après, guérie… Guérie… en 48 heures, quoi.

Mr F. : 48 heures. C’était le lundi matin, et le mercredi matin, vous remettiez le lait dans le tank. Donc c’est un cas très pédagogique ! C’est comme ça que l’homéopathie devrait fonctionner !

On retrouve certaines des caractéristiques du premier récit : le choix du remède sur la base d’un élément particulièrement signifiant – ici la température froide de la vache qui oriente vers Camphora, fabriqué à partir de camphre -, une surveillance rapprochée de l’état de l’animal durant son rétablissement, et une guérison obtenue assez vite, au bout de 48 heures. C’est plus que les 6 heures mentionnées dans le premier récit, mais moins que la durée d’un traitement antibiotique ((Pour une mammite colibacillaire, le traitement antibiotique dure a minima trois jours, et peut se poursuivre selon l’évolution de l’état de l’animal et de sa mamelle, ainsi que de l’aspect du lait.)) Là encore l’éleveur et le vétérinaire ont gardé une mémoire assez précise de la trajectoire de guérison de l’animal.

De fait, cet exemple constitue pour le vétérinaire un cas d’école, qu’il présente lors des formations qu’il assure auprès des éleveurs. Il qualifie cet exemple de « très pédagogique » car il démontre que quand le bon remède a été trouvé, la guérison est complète et obtenue rapidement. On retrouve également de tels récits dans un livre sur l’homéopathie pour les ruminants rédigé par des éleveurs ayant collaboré pendant plusieurs années avec un vétérinaire homéopathe (Collectif, 2011).

Ainsi, les récits de guérison recueillis en entretien circulent oralement dans le monde agricole, certains sont présentés dans le cadre de formations professionnelles, d’autres sont mis par écrit dans des livres. Ces récits rendent compte de la course contre la mort qui se joue lorsque l’éleveur et/ou le vétérinaire tente de soigner un animal par homéopathie : il lui faut prendre du temps pour trouver le bon remède, et cependant, du temps, il n’en a pas beaucoup, car l’animal souffre, son état se dégrade. Il faut alors être en alerte et repérer l’indice le plus signifiant, celui qui guidera automatiquement vers le remède homéopathique approprié. La guérison par l’homéopathie y apparaît comme un phénomène spectaculaire, voire « miraculeux » : l’animal était en très mauvaise posture et l’absorption de quelques granules choisis avec soin lui permet de recouvrir la santé rapidement et durablement.

Les récits de guérison visent à expliciter la démarche homéopathique, mais aussi à démontrer son efficacité. Le régime de preuve ici employé est celui de la curiosité tel que formalisé par Christian Licoppe (1996) dans son étude historique des sciences physiques : le récit qui est fait du phénomène observé est un témoignage du narrateur, qui a pour structure narrative « je fis… je vis… ». Les éléments de preuve avancés par le narrateur sont en effet strictement visuels : il relate les actions qu’il a mises en œuvre pour soigner l’animal par homéopathie, et les effets qu’il a directement observés et qui correspondent à une amélioration de son état, laquelle est toujours présentée comme surprenante. Dans le premier entretien, comme dans d’autres, la première guérison obtenue avec l’homéopathie est celle qui a déclenché la conviction et l’adhésion de l’éleveur. Mais difficile pour ceux qui n’ont pas vu de leurs propres yeux la guérison d’y croire : ainsi, dans le premier exemple, les vétérinaires « n’ont jamais voulu croire » l’éleveur.

Le récit vise ainsi à éveiller l’intérêt d’autres personnes pour l’homéopathie et à les inciter à tester par eux-mêmes cette thérapeutique pour en constater directement les effets. Comme je l’ai montré dans le précédent billet, la démarche homéopathique est difficile à maîtriser et nécessite un investissement important de l’éleveur. Beaucoup d’éleveurs ne mettent pas en œuvre cette thérapeutique après avoir suivi des formations, ou font quelques essais avant d’abandonner rapidement. La circulation des récits de guérison spectaculaires encourage les novices à persévérer, jusqu’à ce qu’ils parviennent à soigner un animal malade.

Dans son étude historique sur l’homéopathie humaine, Olivier Faure (2002) indique que la scène de guérison miraculeuse se trouve au cœur des récits de conversion à cette médecine.

« La scène de la guérison miraculeuse, bien présente dans les récits de conversion, ne séduit pas seulement les catholiques et les mystiques. Le récit en est invariable. Gravement atteint, le héros a tout tenté pour guérir, lui ou son conjoint. Par la lecture ou le conseil d'amis, il prend connaissance de l'homéopathie, n'hésite pas à parcourir l'Europe entière pour se rendre auprès du maître ou de l'un de ses premiers disciples. Presque aussitôt guéri, et comme ébloui, il décide de vouer le reste de son existence au triomphe de l'homéopathie. » (Faure, 2002, p. 89)

Ces récits qui marquent les débuts de l’homéopathie humaine concernent des personnes souffrant de maladies que la médecine classique n’est pas parvenue à soigner et qui ont été finalement guéries grâce à l’homéopathie. Ces récits circulent alors pour entraîner l’adhésion de nouveaux disciples. L’auteur emprunte à la métaphore religieuse, car il relate les débuts de l’homéopathie, une époque à laquelle cette thérapeutique se présentait comme opposée à la médecine moderne. Il en va différemment aujourd’hui, les deux médecines étant davantage considérées comme complémentaires. Dans la grande majorité des cas rapportés par les éleveurs, ils testent l’homéopathie sur des pathologies qui sont soignables par l’arsenal thérapeutique moderne. Leur objectif est de réduire l’utilisation de produits allopathiques, et notamment d’antibiotiques.

Si les récits de guérison sont les plus nombreux, les éleveurs rendent aussi parfois compte d’échecs. L’éleveur vendéen cité précédemment évoque ainsi quelques déceptions surtout sur les jeunes animaux : « parce que le veau, il parle pas, hein ! ». D’après lui, les veaux exprimeraient moins de symptômes que les adultes lorsqu’ils sont malades. Or les maladies qui les affectent, notamment les diarrhées, évoluent très rapidement. Dans le livre précédemment cité, quatre pages sont consacrées aux échecs et à la manière de les surmonter (Collectif, op. cit, pp136-140). Mis à part le cas où la maladie est incurable, les autres causes d’échec sont attribuées à une erreur dans le choix de remède ou de la posologie (mauvaise dilution ou administration du remède réalisée trop vite ou trop tardivement). Cela est donc clairement considéré comme une défaillance du soignant : « En homéopathie la palette [de remèdes] est immense, des dizaines de remèdes sont à notre disposition et le mauvais choix nous renvoie à notre insuffisance de connaissances, de travail d’observation. Nous n’avons pas su déchiffrer le cas et l’animal, au mieux s’améliorera par une autre thérapeutique, au pis perdra la vie. » (Collectif, op. cit., p. 139). Dans la suite du texte, les échecs sont présentés comme des occasions d’apprendre et d’améliorer ses compétences en matière de démarche de soins par homéopathie.

Les cas d’échecs ne remettent toutefois pas en cause l’adhésion des éleveurs utilisant l’homéopathie. Un éleveur jurassien, qui produit sous certification agriculture biologique, indique qu’il a désormais choisi de se « focaliser » sur l’homéopathie pour soigner ses animaux et précise : « Quand on vise bien, c’est quelque chose de facile. Puis ça apparaît des fois miraculeux alors… c’est tellement agréable d’avoir une guérison avec ça. C’est vrai que quand on se loupe, c’est toujours désagréable mais… j’ai déjà arrivé à faire 50% de réussite, quoi. ». C’est là toute l’ambiguïté de cette thérapeutique, qui est présentée comme « extrêmement puissante » quand on a trouvé le bon remède, mais si difficile à mettre en œuvre et si exigeante.

 

Références :

Collectif (2011). Homéopathie à la ferme. Des éleveurs racontent. Valence, Editions Repas.

Faure O. (2002). L'homéopathie entre contestation et intégration. Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 143, 88-96

Licoppe C. (1996). Du singulier au régulier ou de la curiosité à l’utilité. Anthropologie des sciences et des techniques, 88-126.