D’un point de vue méthodologique, l’enquête qualitative a à la fois reposé sur des observations ethnographiques réalisées au sein de cabinets et sur une campagne d’entretiens menée auprès des vétérinaires ruraux y exerçant. Pour varier l’échantillon des quinze cabinets enquêtés, je me suis concentrée sur deux zones d’élevages bovins : une première basée sur l’élevage allaitant en Deux-Sèvres et une seconde sur l’élevage laitier au sud de la Bretagne et des Pays-de-la-Loire.

Quatorze des cabinets enquêtés sont des cabinets vétérinaires mixtes, c'est-à-dire qui cumulent des activités auprès des animaux de rente et d’autres auprès des animaux de compagnie (la canine) et un seul des cabinets intervient uniquement en élevage. Il est important de noter que les cabinets vétérinaires que j’ai rencontré sont plus grands que les moyennes nationales, ce qui s’explique par le choix des zones enquêtées qui sont encore très marquées par l’élevage et par la disponibilité des vétérinaires pour répondre à l’enquête.

 

Afin d’analyser l’organisation professionnelle des vétérinaires il est nécessaire de comprendre les activités qu’ils exercent au quotidien. Bien que les vétérinaires défendent ouvertement la mise en place d’une médecine préventive et collective des animaux de rente, cette enquête démontre que les frontières entre médecine curative et préventive et entre médecine individuelle et collective sont floues, ces activités étant étroitement imbriquées dans les visites en élevage. Toutefois, par souci de compréhension, j’ai choisi de distinguer trois catégories : les actes de médecine générale, la vente de produits et les activités de suivis.

La médecine générale

Mes observations de terrain m’ont permis de classifier les consultations vétérinaires rurales en deux catégories : les actes de médecine générale et les actes réglementaires. La médecine générale représente les activités quotidiennes effectuées par les vétérinaires. En général ce sont des visites prévues le jour même, il s’agit par exemple des fièvres de lait, des mammites, des problèmes respiratoires ou de rumination. Les chirurgies, qu’elles aient un caractère d’urgence ou non, font également partie des actes de base. On retrouve aussi les euthanasies puisque c’est une « profession au contact de la mort et de la maladie au quotidien » comme le souligne une des vétérinaires rencontrés. Les actes réglementaires sont des activités réglementées par l’Etat, principalement pour l’export et l’import d’animaux mais aussi relatives à certaines pathologies contrôlées par l’Etat. Cela se traduit par exemple par des prophylaxies, des prises de sang ou des rendez-vous avec le groupement de défense sanitaire (GDS). La profession vétérinaire rurale est donc basée sur une forte diversité d’activités, et c’est d’ailleurs un des éléments de satisfaction professionnelle qui a été le plus cité dans les entretiens.

Les activités de ventes

L’activité rurale des cabinets vétérinaires repose pour la grande majorité sur la vente de produits. Cette dernière représente entre 65 et 85 % du chiffre d’affaires de l’activité rurale du cabinet, le reste du chiffre d’affaires correspondant aux actes médicaux. La majorité de cette vente repose sur la vente d’intrants médicamenteux (antibiotiques, vaccins, antiparasitaires, hormones…). Toutefois, en conséquence des évolutions réglementaires de ces dernières années sur la vente de ces produits (notamment les plans Ecoantibio), les cabinets vétérinaires élargissent leur gamme de produits, en vendant de plus en plus de compléments alimentaires et de produits d’hygiène.

De plus, les médecines alternatives prennent de l’ampleur dans les cabinets vétérinaires. Dans notre échantillon, cinq cabinets sont adeptes de la phytothérapie, cinq de l’aromathérapie et six proposent de l’homéopathie ; quatre  cumulant par ailleurs les trois approches. Il faut toutefois noter que, d’après les discours recueillis au cours de l’enquête, les vétérinaires semblent plus favorables aux traitements par phytothérapie et aromathérapie que par homéopathie. 

Les suivis

Si le quotidien des cabinets vétérinaires reste articulé autour de la gestion de l’urgence en élevage,  l’accent est mis depuis quelques années sur la gestion préventive de la santé en limitant la consommation d’intrants. Cette visée préventive conduit au développement de services facturés par les vétérinaires. Pour reprendre le terme le plus utilisé, ce sont des activités de « suivi », à l’échelle du troupeau et autour d’objectifs sanitaires globaux que les vétérinaires cherchent à vendre aux éleveurs. Il n’existe cependant pas de modèle uniforme, tous les cabinets proposent leur propre appellation, leurs propres contenus et leur propre système de facturation de ces services.

Ces suivis sont donc des activités « contractualisées », c’est-à-dire soumises à un contrat avec un engagement réciproque des deux parties. C’est ce qui marque la différence avec la médecine générale vétérinaire. La formalisation des contrats dépend des cabinets vétérinaires, par exemple ils peuvent être avec ou sans signature. De plus, les cabinets vétérinaires proposent plusieurs gammes de services qui peuvent aller d’audits ponctuels à des suivis réguliers dans les élevages. La mise en place de service contractualisé se fait toujours à partir d’un audit qui permet de diagnostiquer les problématiques de l’élevage, ensuite le vétérinaire propose des solutions, puis c’est la mise en place du contrat en fonction de la gamme choisie.

Ces suivis, révélateurs d’une marchandisation de conseil, s’articulent aux actes médicaux et/ou à la prescription de produits, médicamenteux ou non. Dès lors, bien qu’il y ait une tentative de cloisonnement des différentes activités de suivis selon les problématiques de l’élevage, tous ces domaines sont étroitement entremêlés.

Le suivi le plus pratiqué en élevage et dont le fonctionnement est le plus établi est le suivi de reproduction (quatorze cabinets). Ce type de service a été mis en place il y a une vingtaine d’années afin de mieux gérer la reproduction des vaches, en particulier grâce à des échographies. Depuis d’autres suivis se mettent en place dans les cabinets vétérinaires :

  • le suivi de qualité du lait (quatre cabinets), où le rôle du vétérinaire est d’assurer une bonne productivité en lait tout en garantissant la santé des animaux notamment en évitant les mammites ;
  • le suivi parasitaire (trois cabinets) permet de contrôler et de raisonner l’utilisation des antiparasitaires dans les élevages ;
  • le suivi alimentation (trois cabinets) où le vétérinaire travaille directement sur les rations des animaux selon les objectifs de production de l’élevage ;
  • le suivi de troupeau (quatre cabinets) reprend les autres thématiques (alimentation, qualité du lait, parasitologie…) dans une approche systémique de la santé.

A l’exception d’une structure, tous les cabinets enquêtés proposent au moins un type de suivi (le suivi reproduction), et certains cabinets peuvent proposer jusqu’à cinq suivis différents.

 

Ce premier billet permet de comprendre les activités des vétérinaires. Bien que la médecine préventive ait bénéficié d’un gain de légitimité dans un contexte de lutte contre l’antibiorésistance, cette prévention n’annule pas la consommation de produits médicamenteux, notamment la vaccination. Continuer à prescrire des médicaments semble en effet nécessaire pour l’organisation interne des cabinets vétérinaires. Nous verrons ainsi dans un prochain billet comment cette organisation et les conditions de travail qui en découlent sont déterminantes dans la mise en place des suivis dans l’offre de services des cabinets.